vendredi 22 février 2008

Une commande chez Alex Singer : deuxième partie


L’été passe. J’attends avec impatience de retrouver le stand Singer sur le salon du mois d’octobre. Il y a foule comme d’habitude et comme d’habitude c’est la course à la technologie. Cette année c’est le carbone sous toutes ses formes qui rafle la mise. Et que je te le tresse en macramé, en dentelle de Périgueux, ou je ne sais quoi… Seul produit qui me parait digne d’intérêt : le groupe SRAM red. L’essai en statique me parait très concluant mais là encore la noirceur du produit me rebute. Je suis indécrotable, je veux du chrome ou de l’acier poli, Merde ! C’est compliqué des faire des choses simples ?? Ben oui on dirait…
Heureusement l’arrivée au stand Alex Singer me remet du baume au cœur et je me mets à taper du pied comme un garenne en chaleur…. J’attends d’un instant à l’autre qu’André Pousse m’apparaisse accompagné de Saint-Audiard. Les dialogues fusent à propos d’Ernest Cuska :
« Le meilleur! Y blanchit sous le harnais, hein... 30 ans de fausse monnaie et pas un accroc. Un mec légendaire quoi... Les gens de sa partie l'appellent le Dabe et enlèvent leur chapeau rien qu'en entendant son blase... Une épée, quoi. »


Ben oui c’est ça un Singer. Ça fleur bon les années 50, l’après guerre que je n’ai pas connu mais qui m’aurait bien plu.

Et puis un Alex Singer ça donne envie de faire du vélo sans motif.

C’est bon je me lance et j’interroge Olivier Csuka sur les tarifs : « ça dépends ». D’accord mais grosso modo ? « ça dépends s’il y a du chrome, et si les pièces sont disponibles ». OK. « Et l’orange par exemple qui est là ? ». Et Cetera. Difficile de savoir de quoi il en retourne mais ça fait parti du charme… Je demande à prendre rendez-vous et Olivier Csuka me tends un imprimé avec le numéro de téléphone. Il faudra que je rappelle dans la semaine après le salon. Bien. Il n’y a plus qu’à, ce sera chose faite la semaine suivante.


Rendez-vous est pris et je me rends un après midi dans la boutique du 53 rue Victor Hugo à Levallois Perret. Dans son jus la boutique. Rien n’a changé depuis… Rien n’a changé. Point.
D’autant plus étrange que le voisinage est loin de faire fifties. C’est moche et sans intérêt, il faut bien l’avouer, en revanche la porte franchie on est ailleurs.
Le comptoir et la caisse enregistreuse, les accessoires à vendre dans des casiers en bois, le sol en mosaïques et les vélos bien sûr vous projettent 50 ans en arrière. Un vrai cliché.

Monsieur Csuka père arrive d’un pas calme du fond de la boutique. Lui aussi est dans son jus : 78 ans. Pas mal. C’est lui qui a repris l’affaire de son oncle Alex Singer et il est rentré comme apprenti en 1944. C’est ce qu’on appelle avoir du métier. Le genre d’expérience qui permet de se passer de tout outillage ou étalage de sciences superflu. Un œil, un mètre, un crayon et c’est marre.

Ernest Csuka : « Alors, qu’est ce que vous voudriez ? », moi : » En fait j’aimerai ce modèle au mur, pour circuler dans Paris et faire quelques sorties en Alsace » EC « Vous allez l’abimez si vous le garer dehors, et puis vous allez vous le faire piquer » Moi « non, non je vais le descendre à la cave… ». Ernest Csuka scrute ma silhouette et va saisir un vélo en présentation. Il me fait grimper dessus juste à côté du comptoir afin que je puisse me tenir sans me casser la gueule… EC « C’est la bonne taille. Posez un pied. Mettez le talon sur la pédale. Attrapez le cintre. Mettez les mains sur les cocotes. Vous faites quelle pointure ? » Tout ça est accompagné de mesures et de griffonnages de chiffres. Je lui fais part de mes douleurs récentes aux cervicales et autres broutilles. Bien. Tout ça est noté.

Le vélo lui-même maintenant. Ernest Csuka a compris l’usage que je souhaitais en faire et la couleur. Pour le reste il fait un peu les questions et les réponses mais ce n’est pas pour me déplaire.

Je veux un Alex Singer, j’aurai un Alex Singer.

EC « Qu’est ce que je vais vous mettre comme tubes ? Vous pesez combien ? »
moi « 67 kg »
EC « -silence- Je vais vous mettre du 631, vous n’êtes pas lourd »
Va pour du Reynolds 631.
EC « Vous voulez des garde-boue ? »
moi « Oui »
EC » Je vais vous mettre un petit porte-bagage devant aussi, c’est pratique ».
Va pour le porte-bagage, pas prévu au départ mais après tout…
EC « Pas de dynamo, vous mettrez une pile ? »
moi, laconique mais concentré : »oui »
EC » Pour la transmission ? »
moi « Dura Ace ».
Ernest écrit sur son formulaire imprimé et en profite pour déterminer les développements :
« Vous ne ferez pas de montagne ? »
moi « ce n’est pas prévu. Il n’y a pas trop de montagnes où je vais en Alsace »
EC » Un 40 et… un 48. Pour les pignons… » il note des chiffres.


L’échange continuera comme ça quelques minutes. Je relis le formulaire et je lui dis que le porte-bidon est inutile.
Il me regarde comme un extra-terrestre « c’est pourtant bien utile pour mettre un imper roulé… ».

Va pour le porte-imper.

Le moment était savoureux, la commande est désormais lancée. Elle portera le n° 3400
3400ème vélo depuis 1938... Le délai ne sera pas long mais peut facilement être rallongé selon les demandes comme l’explique très bien cet entretien avec Ernest Csuka paru sur paris.etvous.fr :

«
Combien d’heures peut prendre la fabrication d’un vélo ? Ernest se hasarde rarement à donner des chiffres. Il évoquera devant nous une soixantaine d’heures pour bâtir un cadre seul, sans peinture ni finition. L’artisan fixait autrefois quatre mois de délai pour fabriquer un vélo. Il ne peut plus. Pour une raison simple : il ne maîtrise pas les plannings de ses sous-traitants, les rares dont il peut encore s’entourer. « Je ne suis pas tout seul. On ne fait rien tout seul », insiste Ernest avant de déplorer que le tissu artisanal se soit complètement effiloché dans notre beau pays. « Nous sommes en perdition », se désole-t-il. « Par exemple, voilà trois mois que j’attends des fourreaux de fourche d’Angleterre. Je ne sais pas quand j’aurais ça », précise l’orfèvre qui n’avait qu’à se rendre à 300 m de là, rue Jules-Guesde, avec ses cadres de vélo sur l’épaule pour faire exécuter, il y a 50 ans, le sablage, le chromage et l’émaillage des pièces. « Enfin, soupire-t-il, je me débrouille. Ça fait 25 ans que je fais ce métier avec des accessoires qui n’existent plus. »


A Suivre : La livraison

8 commentaires:

pascal a dit…

raaaaaah!!!!!! ah zut j'ai bavé sur le clavier....

pascal a dit…

et la peinture c'est fait maison ou ils délèguent?

jeancarmet a dit…

Ils envoient les cadres chez un émailleur. D'après ce que je sais mais je ne sais pas grand chose !

Anonyme a dit…

Magnifique !... J'attends la suite avec impatience...

Fortu

Anonyme a dit…

Pas sûr que ça te plaise ! C'est mon vélo à mon goût... Peut être rien à voir avec ce que tu attends !

Anonyme a dit…

Et bien soit, l'essentiel étant le partage que tu fais de cette expérience Alex Singer, je suis vraiment curieux de voir le tout...


Fortunato

Raphael a dit…

Au cas où tu te poserais la question, c'est intéressant même quand on n'en a rien à battre du vélo.
Un exploit !

Anonyme a dit…

Où est la suite ? La livraison ?